enjeux politiques

La ville de Lyon abandonne Microsoft pour les logiciels libres

C’est une nouvelle plus que réjouissante qui nous parvient de la Tribune de Lyon: le 7 juillet dernier, la ville de Lyon a validé «la bascule progressive d’une dépendance, depuis 20 ans, aux outils Microsoft, pour aller vers un recours général au logiciel libre». Ce changement vise l’environnement numérique des agents municipaux: les outils de l’intranet, l’édition de fichiers de bureautique, la messagerie électronique, les autres outils de communication (messagerie instantanée, visioconférence…).

L’article évoque bien une problématique de souveraineté numérique, ainsi que le coût estimé de la transition, mais est bien chiche en informations. Quel est leur plan ? Quel est le coût des licences Microsoft actuelles ? etc

Affaire à suivre, mais bonne nouvelle néanmoins.

Nous espérons que ce changement permettra à de nombreux agents d’apprécier des logiciels libres que nous utilisons au quotidien (ne serait-ce que le navigateur Firefox, à préférer à Google Chrome, ou LibreOffice), que cela fera tâche d’huile, et que cela amènera des fonds pour le développement de ces logiciels. Les fonds publics qui partent en achats de licence chez le géant états-unien peuvent être ré-investis chez des acteurs français ou européens du logiciel. Libre.

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Documentaire Arte: Sous les radars des algorithmes

Un documentaire qui donne des pistes d’émancipation des géants du web, c’est pas banal ! Le tout en voyageant, notamment en Allemagne, à Hong-Kong ou au Maroc.

Comme alternative à Facebook, en pensant notamment aux évènements, le docu (et les acteurs interviewés) se tournent vers Mobilizon de Framasoft: https://mobilizon.org/ À nous de l’adopter également !

https://www.arte.tv/fr/videos/100750-000-A/disparaitre-sous-les-radars-des-algorithmes/

Nouveau cas de site censuré par Facebook. Depuis 2017 Facebook réduit la visibilité des médias de gauche.

Depuis le 15 octobre, le journal en ligne Rapports de force a été totalement évincé de Facebook: tous les liens vers leur site sur tous les comptes utilisateurs ont été supprimés, plus personne ne pouvait poster de lien menant vers ce site:

https://rapportsdeforce.fr/pouvoir-et-contre-pouvoir/notre-eviction-de-facebook-pourrait-signer-la-fin-prochaine-de-rapports-de-force-10228320

Bien entendu, aucune explication n’a été donnée, mais il semblerait que ce soit suite à la publication de cet article, à propos de « la mobilisation nationale contre la répression subie par quatre enseignant.e.s d’un lycée, à Melle dans les Deux-Sèvres».

Le 2 novembre, le journaliste annonçait lancer une procédure judiciaire contre Facebook. Le lendemain, il était de nouveau possible de poster des liens vers ce site.

Rapport de force possède son propre système de publication, mais la grande majorité de ses lecteurs, et donc des dons qui font actuellement vivoter le journaliste, venaient des partages sur Facebook. Cet acte de censure le mettait donc en grand danger.

On ne peut pas s’étonner d’un tel acte de modération ni dire que «c’est dégueulasse» et réclamer des droits et des garanties sur les publications Facebook: ce réseau «social» est une entreprise privée qui dicte ses propres règles. Ce qu’on peut retenir de ce nouvel exemple, c’est que non, on ne peut pas «utiliser Facebook à bon escient», non, on ne peut pas l’utiliser de manière «neutre» vu qu’il n’est pas neutre en soi, non, on ne peut pas s’informer correctement sur Facebook et oui, l’utiliser a un impact direct: sur soi, sur ce que l’on peut y lire, sur sa perception du monde, sur ses propres idées. Est-ce que vous voulez vraiment laisser une influence sur votre cerveau à cette entreprise ?

Et non, ce n’est pas du tout la première fois que ce genre de chose arrive. Le NouvelObs titre que depuis 2017, Facebook a intentionnellement diminué la visibilité des médias de gauche: https://www.nouvelobs.com/elections-americaines-2020/20201018.OBS34892/facebook-a-reduit-la-visibilite-des-medias-de-gauche-tout-en-restant-critique-des-deux-bords.html

«Facebook a modifié en 2017 l’algorithme de son fil d’actualité pour réduire la visibilité des sites américains d’informations de gauche, rapporte le « Wall Street Journal ». Son PDG Mark Zuckerberg a lui-même approuvé ces modifications. Parmi les sites affectés, Mother Jones, dont le directeur éditorial Ben Dreyfuss indique que les dirigeants de Facebook lui ont assuré plusieurs fois, en 2017 et 2018, que le trafic pourrait diminuer, mais pas de façon à favoriser ou défavoriser un groupe donné d’éditeurs.

En 2019, Mother Jones a constaté la forte baisse de son audience sur le réseau social, soit une perte d’environ 600.000 dollars en 18 mois, indique le journal en ligne The Verge. Les dirigeants de ce média à but non lucratif créé en 1976 ont d’abord pensé que leur site était une victime collatérale d’une politique ne les visant pas particulièrement, mais ils ont constaté que leur situation ne cessait d’empirer, comme l’a tweeté sa PDG Monika Bauerlein.»

Mediapart fait état des mêmes observations en 2019 pour des groupes de «gauche radicale»: https://www.mediapart.fr/journal/france/290819/facebook-aneantit-l-audience-d-une-partie-de-la-gauche-radicale?onglet=full

Ils s’appellent Lille insurgée, Bretagne noire, Collectif Auto Média énervé, Cerveaux non disponibles, Groupe Lyon Antifa… Plusieurs collectifs qui administrent des pages Facebook font état depuis quelques jours de la chute libre du nombre de vues sur leurs publications, alors qu’elles touchaient jusque-là des milliers de lecteurs, souvent des dizaines de milliers, parfois des centaines.

Vous-même pouvez être censuré·e pour de drôles de raisons. Un témoignage de lectrice:

Je viens de quitter mon compte perso Facebook suite à 2 blocages: 1 sur un article sur la démocratie participative et le 2ème à cause d’une blague sur le covid !!!

Publier sur Facebook peut s’avérer dangereux: https://www.nextinpact.com/news/108067-des-posts-sur-facebook-peuvent-justifier-non-renouvellement-dun-titre-sejour.htm

Et l’on sait que ce qu’on y lit est clivant, et a tendance a être fascisant: https://www.liberation.fr/futurs/2017/03/12/facebook-un-mois-dans-la-machine-a-infos_1555220

Quelles alternatives ?

Lisez les sites internet directement, utilisez un lecteur de flux RSS, lisez les agrégateurs de nouvelles (type portail.bastamag.net), achetez de (bons) journaux en kiosk, furetez en librairie (indépendante), arrêtez Facebook, prenez le temps, essayez-vous à Mastodon ou à Diaspora (mais c’est pas obligé)… et ne vous ruez pas sur Twitter, Whatsapp ou autres « alternatives » qui n’en sont pas !

Comment une municipalité d’Istanbul est passée à LibreOffice et GNU/Linux

Ici on aime les exemples concrets d’administrations ayant fait la transition d’un monde propriétaire windows-ien à des logiciels libres. C’est le cas pour la municipalité d’Eyüpsultan à Istanbul, tel que raconté par un de ses acteurs.

Ce qu’ils mettent en avant dans leur retour d’expérience est l’accent mis sur la formation avant la transition. Ils ont d’abord formé leurs équipes à LibreOffice. Ce n’est que lorsque l’utilisateur réussissait un petit examen final qu’ils lui changeaient son logiciel de bureautique.

Un an plus tard, même processus pour passer à une distribution GNU/Linux (une distribution développée par le gouvernement turc, basée sur Debian). Après une étude préalable, qui les motive à installer un thème graphique très similaire à Windows sur leur distribution GNU/Linux, chaque travailleur a été formé, a passé un petit examen de validation, et est passé à Linux. Celles et ceux n’ayant pas réussi l’examen du premier coup ont eu droit à des sessions de rattrapage.

Un bon documentaire sur Arte: La Bataille du Libre. Enjeux en agriculture, santé et partout ailleurs

Le documentaire La Bataille du Libre (dont on voit en fait la version courte, intitulée «Internet ou la révolution du partage»), est visible sur Arte jusqu’au 4 août 2019. Et il vaut le coup !

« Leur terre est morte et ils ne la possèdent même plus, ils sont endettés auprès de banques. Il faut des engrais sinon rien ne pousse. Les graines sont propriétaires, elles sont OGM. Le tracteur est conduit par une machine informatique, ils n’ont pas le droit de le réparer. Qu’est‐ce qu’il leur reste comme autonomie ? »

Le docu montre concrètement la conséquence de l’enfermement des utilisateurs et utilisatrices, et que cela va bien au-delà de nos logiciels sur l’ordinateur. De l’Inde aux États‐Unis, il va à la rencontre de celles et ceux qui expérimentent des outils d’émancipation pour apporter des solutions concrètes : dans l’alimentation, avec les semences libres, dans la santé, avec des médicaments open source, ou dans l’éducation, grâce au libre accès à la connaissance.

Vous pouvez lire une plus ample présentation sur ce site de geeks: https://linuxfr.org/news/l-enjeu-de-la-bataille-du-libre-la-reappropriation-des-savoir-faire

et wikipédia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Internet_ou_la_r%C3%A9volution_du_partage

Du coup, pour passer aux logiciels libres chez vous en douceur, ne loupez pas:

  • https://framastart.org/
  • https://framalibre.org/, un annuaire de logiciels et autres ressources (livres, musique, jeux…) libres. On peut y trouver des alternatives aux logiciels habituels, et il y en a sûrement plus et de meilleure qualité que ce que vous ne pensez. Par exemple, Darktable pour le développement de photos RAW est excellent.

Et faites un premier pas hors de Facebook !

Et si, demain, votre mode de vie était contrôlé par votre compagnie d’assurance [bastamag.net]

Vos données personnelles ne sont pas seulement la cible d’agences d’espionnage bien ou mal intentionnées. Les compagnies d’assurance se sont lancées dans une véritable course pour tenter de collecter le plus d’informations possibles sur votre mode de vie. Les réseaux sociaux, les objets connectés ou les applications loisirs présentes sur les smartphones, sont autant de sources de renseignements sur votre état de santé ou votre régime alimentaire. Et une mine d’or pour évaluer les risques qu’assurances et mutuelles doivent couvrir ainsi que la prime que vous devrez acquitter. Votre assureur vous dictera-t-il demain la manière dont vous devez vivre pour ne pas payer plus cher ? Enquête.

Cet article de Morgan Remy est paru sur bastamag.net le 28 janvier 2016: http://www.bastamag.net/Proteger-vos-donnees-aujourd-hui-pour-ne-pas-etre-traques-demain

« Bravo, vous avez marché plus de 90 kilomètres ce mois-ci, nous vous remboursons votre abonnement à la salle de sport » ; « vous avez dépassé votre quota de matières grasses cette semaine, vous ne respectez pas vos objectifs en matière d’alimentation, votre prime d’assurance santé va augmenter » ; « vous avez fait deux excès de vitesse cette semaine, restez vigilant, gare au malus » ; « Alerte météo dans votre région : un orage violent est prévu. Pensez à ranger vos meubles de jardin »…

Ce type de SMS pourrait bientôt vous être envoyé par votre assureur afin de prévenir un risque concernant votre maison, votre voiture ou votre propre corps. Science-fiction ? Pour organiser cette prévention personnalisée, les assureurs pourront se baser sur les précieuses – et nombreuses –informations que nous essaimons déjà dès que nous utilisons un navigateur de recherche sur Internet, un réseau social, une application mobile et même, désormais, des objets connectés. Pour ne pas avoir systématiquement à acheter ces informations à des tiers, les assureurs réfléchissent aussi à créer leur propres bases de données. Dans les deux cas, la matière collectée est traitée par des algorithmes puissants. « Pour tous les assureurs, la collecte massive et le traitement de données – le Big Data – est déjà un relais de croissance incontestable », assure Louis de Broglie, fondateur de la start-up d’assurance Inspeer.

Une course à la collecte de nos données

Le « Big Data » est une arme redoutable pour les assureurs. Il vient renforcer leur cœur de métier qui consiste à collecter des informations afin de mettre un prix sur un risque (accident de la route, longue maladie, cambriolage…), la prime que l’assuré verse pour être couvert. Dans le métier, cela s’appelle le « couple rendement- risque ». Derrière ce terme technique, l’objectif est simple : gagner de l’argent. Pour cela, il faut que le total de primes que chacun paie pour s’assurer soit supérieur au coût des sommes versées au client dans le cadre de sinistres.

Les assureurs cherchent à mieux huiler cette mécanique en récoltant toujours plus d’informations sur la nature du risque et la probabilité qu’il se réalise. « Le premier qui gérera la collecte et l’analyse de données pourra s’assurer de n’avoir que des bons risques », confie Eric Froidefond, manager dans le domaine de l’assurance et auteur d’un mémoire sur le Big data dans l’assurance (2014). En clair, il pourra sélectionner, avant ses concurrents, les clients qui sont moins exposés à une probabilité de sinistre. Les assureurs se livrent donc à une véritable course à la collecte de nos données.

« Désormais, nous pouvons avoir des informations en temps réel »

La technologie change la donne. « Les assureurs auront accès à des données dynamiques : jusqu’à présent, nous ne pouvions collecter des données qu’au moment de la souscription. Désormais, nous pouvons avoir des informations en temps réel », reconnaît Stéphane Chappellier, CEO de SolvINS, une société de conseils et de services aux entreprises pour l’exploitation des objets connectés et de leurs données. Cela réduit l’incertitude dans laquelle les assureurs demeurent, une fois un contrat signé. « Les objets connectés, les applications mobiles, le Big Data supprimeront l’asymétrie d’information qui était historiquement en faveur de l’assuré », résume Antoinette Rouvroy, chercheuse au centre de recherche en information, droit et société (CRIDS) à l’université de Namur (Belgique). Le risque ? Celui d’augmenter le contrôle des assureurs sur nos vies et, grâce à cet encadrement, d’individualiser l’assurance, tant sur le plan de la prévention que sur celui de la prime.

Concrètement, pour les assurés, les primes pourraient non seulement évoluer au niveau de chaque client, mais aussi, dans le temps, en fonction de l’évolution du comportement de chacun. Aujourd’hui, c’est déjà un peu le cas : un fumeur sait qu’il paie sa cigarette deux fois, une fois au buraliste et une fois à son assureur, avec une prime renchérie. Cette pratique sera juste affinée et élargie à tous les pans du quotidien. Par exemple, un assureur pourrait savoir que vous êtes rarement à la maison, sur la base du compteur électrique connecté. Il peut alors vous demander de sécuriser le domicile avec une alarme, faute de quoi, la prime augmentera.

Un assureur pourra même se séparer d’un client qui ne suit pas ses préconisations. Ce dernier aura pour seule option de se tourner vers des assurances plus chères, comme c’est déjà le cas après des accidents de voiture à répétition. « Ceux qui ne souhaitent pas partager leurs données pourront rapidement être suspectés de constituer un mauvais risque », souligne Louis de Broglie. La différence est que ce choix sera basé sur une anticipation statistique et non sur des faits, comme des accidents de voiture. « Les assureurs auront tellement d’informations que les prix deviendront individuels et très évolutifs, résume Eric Froidefond. Il faudra trouver d’autres moyens de mutualiser, peut-être avec de nouveaux services de co-assurance de personnes. »

L’enjeu de l’acceptation sociale

Au vu des enjeux de long terme, pourquoi les assurés accepteraient-ils de confier leurs données ? Parce qu’ils peuvent être gagnants sur le court terme. « Dans le marché hyperconcurrentiel de l’assurance, les consommateurs accepteront de transmettre leurs données si cela s’accompagne d’une réduction des prix », analyse Thierry Vallaud, responsable de la prospection des données (datamining) à BVA. Ce constat est partagé par les assureurs qui proposent d’ores et déjà de réduire les primes contre la preuve d’un comportement vertueux. Ces tentatives deviennent très concrètes, même si elles concernent avant tout la sphère la moins invasive de l’assurance : l’automobile.

Un nouveau concept s’est ainsi développé aux États-Unis, puis au Royaume-Uni et en Italie, avant d’arriver en France : un assuré paye en fonction de la prudence de sa conduite. Il s’agit du « pay how you drive » (payez à la manière dont vous conduisez). L’un des poids lourds de l’assurance, l’allemand Allianz, a ainsi lancé une nouvelle offre, à grand renfort de publicité diffusée au cinéma et à la télévision. Concrètement, le conducteur accepte de connecter un boîtier à sa voiture. Ce boîtier est alors capable de détecter les excès de vitesse mais aussi la fréquence et la brutalité des freinages ou la manière d’aborder les virages. Si l’assuré adopte une conduite souple, il peut obtenir une ristourne pouvant aller jusqu’à 30 % à la date anniversaire du contrat. Direct Assurance, filiale du géant français Axa, a de son côté lancé une offre similaire… où la prime peut être réduite jusqu’à 50 %.

En terme d’acceptation sociale, le climat est également favorable : 70 % des consommateurs sondés par le cabinet de conseil PwC se disent en effet prêts à faire installer un capteur dans leur voiture ou à leur domicile, si cela leur permet d’obtenir une baisse de leur prime d’assurance (Étude PwC sur les objets connectés, « The Wearable Future » « Nos axes de travail restent concentrés sur la voiture et le domicile, car nous avons des certitudes sur ce marché que nous n’avons pas sur la santé connectée, où la législation est contraignante et changeante », explique Michael de Toldi, directeur des données de BNP Paribas Cardif (la société d’assurance de la BNP Paribas).

Connecter le corps, ouvrir la boîte de Pandore

En termes de santé, l’enjeu est en effet complexe pour les assureurs. « Tous les assureurs n’ont alors pas la même vision, annonce Serge Abiteboul, informaticien, professeur à l’ENS Cachan et directeur de recherche à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria). En rencontrant ces professionnels, j’ai vraiment entendu deux discours : ceux ultralibéraux qui fantasment sur l’usage du Big Data, par exemple pour « saucissonner » les risques de santé, et ceux, souvent des mutuelles, qui y voient des possibilités d’offrir de nouveaux services et préfèrent garder la mutualisation du risque. »

Comme souvent, c’est dans le monde anglo-saxon que les premières étapes de l’individualisation – et de la surveillance – sont franchies. Ainsi, la société d’assurance John Hankock propose à ses clients des bracelets connectés, des capteurs d’activité développés par la société états-unienne Fitbit. S’ils atteignent un niveau d’exercices physiques stipulés dans le contrat, le client bénéficie alors d’une série d’avantages, comme des bons cadeaux chez Amazon, des réductions sur des nuits d’hôtels ou des remboursement d’abonnement à des salles de sport. « L’acceptation sociale est beaucoup plus poussée aux États-Unis ou, dans une moindre mesure, au Royaume-Uni pour une raison simple : dans ces pays, un problème de santé peut signifier une faillite personnelle », note Alexis Normand, directeur du département santé au sein de la compagnie française Withings, productrice d’objets connectés.

En France, les assureurs sont plus prudents. Le premier à avoir proposé une offre grand public est le groupe Pasteur Mutualité. Il a intégré des objets de santé connectés dans son contrat, en offrant de rembourser tout achat en la matière jusqu’à 150 euros. Objectif affiché : proposer des solutions de prévention en encourageant l’activité physique avec un podomètre (pour mesurer le nombre de pas quotidien) ou le suivi physiologique avec un tensiomètre ou un glycomètre (pour mesurer le taux de glucose dans le sang), tous connectés. Le groupe précise bien qu’il n’y aura aucune collecte de données. Cela permet tout de même de tester si les assurés sont réceptifs à ce genre de pratique.

Applications de bien-être, objets connectés, autant de mouchards ?

Vous proposer un objet connecté sous des allures ludiques n’est pas forcément indispensable pour collecter vos données de santé. Dans les faits, les assureurs peuvent déjà en acheter à Google, aux réseaux sociaux comme Facebook et même à des entreprises développant les applications présentes sur nos téléphones, comme une application indiquant ou mesurant les parcours de jogging ou de vélos. « Les citoyens sont ambivalents : ils ont conscience des risques pour la sécurité de leurs données, mais ils cèdent en vigilance quand les services à portée de main, sur leur smartphone ou sur leur ordinateur, facilitent leur vie », reconnaît Christian Saout, secrétaire général délégué du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss), qui utilise lui-même une application gratuite comptant ses pas.

Beaucoup d’entre nous ont déjà – consciemment ou non – accepté de confier leurs données à des tiers, comme des sociétés développant des applications de course à pied, de conseils nutritionnels, ou de gestion du sommeil. L’application My Fitness Pal par exemple, qui compte les calories et le nombre de pas quotidien, a été téléchargée plus de un million de fois sous Android . Ces données de bien-être peuvent ensuite être revendues. Elles ont de la valeur : la start-up ayant développé ce logiciel a été cédée à pas moins de 475 millions d’euros en février dernier !

Le droit des citoyens européens renforcé mais…

« Nous sommes dans l’ère de la responsabilité : pour se protéger, les utilisateurs doivent lire les conditions générales d’utilisation (CGU) », souligne Alexis Normand, de Withings, qui propose déjà un écosystème de 150 applications interagissant avec leurs objets connectés. Qui prend vraiment le temps de lire intégralement les CGU avant de cocher la case les validant ? « Moi-même, je ne les lis que rarement, car souvent trop longues et fastidieuses, reconnaît Sophie Nerbonne, directrice de la conformité juridique de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Nous devons réfléchir au niveau européen à un moyen de consentement qui soit plus lisible pour permettre un consentement éclairé et une réelle maîtrise, par les citoyens, de leurs données. »

En parallèle, une bonne nouvelle est à signaler. Les citoyens français auront bientôt plus de moyens pour défendre leurs droits à la protection des données sensibles. Un règlement européen, qui devrait être voté et adopté d’ici début 2016 et appliqué en 2018, prévoit que le droit du pays des clients – et non des entreprises – soit pris en compte. Or le droit européen est très protecteur. Par exemple, un citoyen français peut demander à un site de lui communiquer l’intégralité des données le concernant, de les rectifier si elles sont inexactes, de s’opposer à tout moment – même après la signature des CGU – à la diffusion, à la vente ou à la conservation de ces informations. Les données de santé, quant à elles, sont particulièrement protégées et accessibles uniquement par un médecin. De plus, si ces droits existent depuis des décennies, le règlement européen rend les sanctions enfin crédibles. L’amende maximale était jusqu’à maintenant de 150 000 euros. « Le projet de réglementation prévoit désormais des sanctions pouvant aller jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial du groupe concerné, ce qui deviendrait vraiment dissuasif », s’enthousiasme Sophie Nerbonne.

Alimentation, activité sportive, sommeil : des infos stratégiques

La vigilance reste de mise. Déjà, parce que ce règlement ne s’appliquera que d’ici deux ans. Ensuite, parce que deux failles demeurent. Tout d’abord, si les données de santé, dites « sensibles », sont ultraprotégées, les données de bien-être que nous transmettons sont encore régies par le droit contractuel et les fameuses CGU. Or ces informations – alimentation, activité sportive, sommeil – permettent toujours aux assureurs d’estimer notre risque de santé en temps réel.

Enfin, les assureurs peuvent tout à fait accéder à nos données de santé de manière indirecte : les entreprises d’assurance possèdent des filiales d’assistance employant des médecins. Si ces derniers ne peuvent pas communiquer notre dossier médical, ils peuvent très bien communiquer une évaluation, de A à F par exemple, qui évolue en fonction de notre comportement. Un médecin pourra par exemple proposer à un assuré passant dans la catégorie « senior », ou à un patient sortant de l’hôpital, de suivre un « contrat de bien-être » pour réduire son risque et améliorer sa note. Le contrat contiendra alors des objectifs dans le cadre d’un programme concernant la prise de médicament, une activité physique ou une alimentation saine. Accepter ces objectifs, fixés par le médecin, permettra alors d’améliorer sa note. Le refuser, c’est risquer un malus.

Revue Réfractions n°32: entre techno et éco, quelle logique pour l’avenir ?

L’Histoire se déroule au sein de la rédaction de «Réfractions», solide trimestriel de «recherches et expressions anarchistes». Constatant l’emprise croissante des nouvelles technologies sur nos vies, les anars décident d’y consacrer leur numéro de printemps. Moins paresseux que la plupart des médias, qui n’abordent ces thèmes qu’on ressassant la formule cliché «Faut-il avoir peur de ?…» -des nanotechnologies, de la biologie de synthèse, des OGM (allongez la liste)-, comme si on n’avait le choix qu’entre l’adhésion sans réserve et l’effroi obscurantiste, nos anars se mettent à gamberger sérieusement. Ils constatent que, si chez eux personne «n’est dupe des illusions du capitalisme prétendument vert, qui en réalité s’autodétruirait s’il procédait à un véritable tournant écologique», ils ne sont pas d’accord entre eux.

D’un côté, ceux qui redoutent un avenir ultra-technologique qui renforcerait la puissance des aliénations déjà existantes, l’abêtissement publicitaire, l’addiction à la connexion permanente, le Big Brother amicalement consenti, type «Facebook», ou allègrement étatique, type NSA mâtinée d’Orange… De l’autre, ceux qui, certes, ont lu les grands classiques de la critique technicienne, d’Ellul à Charbonneau en passant par le collectif grenoblois Pièces et Mains d’œuvre, mais restent sceptiques. Ainsi Pablo Servigne: «Je ne crois pas à la matérialisation de cet avenir ultratechnologique.» Et d’affirmer qu’il ne se sent pas cornucopien pour un sou. Cornupi… quoi ?

Est cornucopien, selon lui, quiconque «vit dans le mythe de la corne d’abondance, selon lequel le progrès technique arrivera sans cesse à repousser les limites malthusiennes de la planète, propulsant l’humanité vers toujours plus de croissance, puisse-t-elle même être immatérielle ou culturelle». Et de passer aux aveux: il croit que l’avenir ultratechnologique n’a pas d’avenir. Fort de sa formation en agronomie, éthologie et écologie, et veillant, dit-il, à «entretenir un maximum de rigueur dans [s]es sources bibliographiques es [s]es raisonnements», il est persuadé que le système s’effondrera bientôt, et que la croissance ne reviendra plus jamais: «Oui, je suis devenu catastrophiste. cela me coûte de l’écrire tant cette posture est unanimement décriée et ridiculisée.» Alors, que faire ? Cultiver son jardin, tout commes ces marxistes attendant patiemment que se réalise la promesse de Marx, la fin du capitalisme, miné par ses contradictions ? A l’instar de nombreux mouvements dits de transition, Servigne invite à concevoir d’urgence /«des petites solutions autonomes et low-tech à une échelle maîtrisable par des petits communautés humaines sans grande puissance technique ni énergétique»/.

Certes, mais, si le système s’inventait de nouveaux gisements de croissance, en vrac, avec les nanotechnologies, la fusion nucléaire, la Sibérie devenue doux bocage grâce au réchauffement climatique, les fonds marins, dont même Mélenchon prône l’exploitation ? Si les cornucopiens avaient raison ? (A suivre)

Chronique de Jean-Luc Porquet, parue dans le Canard Enchainé du mercredi 11 juin 2014.

Jean-Luc Porquet est journaliste (d’abord passé par l’Institut Catholique des Arts et Métiers). Il tient une rubrique dans le Canard intitulée «Plouf!» qui traite de sujets écologiques, sociaux, humains ou altermondialistes ainsi qu’une rubrique de théâtre (wikipédia). Il a publié plusieurs ouvrages, dont on peut citer «Jacques Ellul, l’homme qui avait (presque) tout prévu», dont vous trouverez une introduction à ses idées dans:

Le numéro de Réfractions contient un texte du groupe Ippolita, que vous connaissez déjà pour leur livre «J’aime pas Facebook».

Pièces et Mains d’œuvre est un collectif grenoblois qui s’auto-qualifie de «néo-luddite». Souvent dérangeants, quelquefois pédants, ils sont toujours intéressants. (mais compléter avec les analyses encore plus larges du groupe Marcuse, dans «la liberté dans le coma»)

Les anciens numéros de la revue sont lisibles en ligne et les textes sont disponibles au format pdf.

En conclusion: achetez Réfractions (et/ou demandez-le à votre bibliothèque), et achetez le Canard !

 

La Liberté dans le Coma, groupe Marcuse: extrait

En attendant sa chronique, un extrait de l’excellent:

1 La liberté dans le coma – Esai sur l’identification électronique et les raisons de s’y opposer 1

par le groupe Marcuse (Mouvement Autonome de Réflexion Critique à l’Usage des Survivants de l’Économie). Également auteur de «De la misère humaine en milieu publicitaire» aux éditions La Découverte.

En nous intéressant [à la France de Vichy et] aux transformations adoptées par la grande république nord-américaine face à la croissance de sa population et au changement d’échelle de son économie, à partir de la fin du XIX{e} siècle, on va trouver confirmation de ce que le souci moderne de recenser les humains n’a pas toujours été solidaire des pires intentions. Pour autant il pose à chaque fois problème.

[vous pouvez également télécharger ce texte au format pdf]

À partir de la guerre civile, les États-Unis connaissent une explosion démographique nourrie à la fois par la croissance intérieure et par d’importantes vagues de migration en provenance d’Europe.Entre autres problèmes administratifs posés par cette explosion, un des plus intéressants est celui du déroulement des élections. Un recensement précis de la population était rendu nécessaire par la nature du système politique américain: l’élection des représentants dépendait du poids démographique relatif de chaque État. L’habitude avait été prise de refaire le compte tous les dix ans.

Le premier comptage, celui du 2 août 1790, s’était borné à dénombrer 3 893 637 personnes vivantes sur le territoire de la Fédération. À partir de 1800, six rubriques analysèrent la composition de cette population (sexe masculin, Blanc de moins de seize ans; sexe masculin, Blanc de plus de seize ans; sexe féminin, race blanche; individu libre de race noire; esclave; profession).

Les questions posées par les agents recenseurs devinrent de plus en plus nombreuses, car on comprit très vite que les informations liées à ces recensements constitutionnels pouvaient servir de guide aux prises de décision législatives. D’un recensement à l’autre, le chiffre global augmentait d’un facteur quasiment constant, environ 34.6\%. En 1860, la population atteignit 31 440 000 habitants. […] les recensements devenaient de plus en plus difficiles à exploiter, de plus en plus coûteux aussi. […]

Le comptage de 1880 fut un cauchemar: la population des États-Unis avait atteint 50 262 000 habitants; sept ans allaient être nécessaires pour dépouiller et exploiter les informations recueillies. En 1890, le blocage serait total. Les décideurs économiques et législatifs ne pourraient plus disposer en temps utiles des informations qui leur seraient nécessaires et les règles constitutionnelles ne seraient plus respectées. Une évolution radicale devenait donc indispensable2

Cette évolution eut lieu. Ce fut l’invention par Hermann Hollerith de la première machine statistique à cartes perforées. Hollerith était un ancien employé du Bureau du recensement qui fut sollicité pendant les années 1880 pour construire un totalisateur électrique (appelé «tabulatrice») capable de faciliter le travail de traitement des informations recueillies par le Bureau. Ce jeune ingénieur parvint à mettre au point une machine comptant les unités grâce au passage du courant à travers les trous des cartes -des cartes identiques à celles qui programmaient le tissage dans les métiers à tisser Jacquard du début du XIX{e} siècle, et sur lesquelles on transcrivait les réponses des citoyens par des trous. La machine de Hollerith fit gagner un temps énorme au Bureau of Census, pour lequel il travailla à des améliorations jusqu’au début des années 1900.

Ainsi, l’un des pas les plus importants dans l’évolution technique menant à l’ordinateur fut franchi sous la pression d’une urgence politique. Et l’entreprise qui deviendra plus tard IBM fut fondée à la suite de cette invention, qui était destinée à pallier le grave blocage que rencontrait la mise en œuvre d’une constitution datant du XVIII{e} siècle dans une société qui avait changé d’échelle.

C’est bien pour cela que la technique n’est pas neutre. Ici, la création d’une machine permet le maitien en état de marche d’un système politique conçu pour régler les rapports de quelques centaines de milliers de personnes, à une époque où la population est quinze fois plus nombreuse et le territoire dix fois plus étendu. L’innovation technique permet de ne pas se reposer la question de l’organisation légitime du pouvoir dans ces nouvelles conditions: les gens ordinaires ont-ils la moindre chance de participer aux affaires publiques dans un État de cinquante millions d’habitants ou plus, qui s’étend sur une surface équivalente à celle de toute l’Europe ? les débats pertinents ont-ils encore une chance d’émerger ? la démocratie peut-elle supporter que la souveraineté politique ait le même visage dans le Massachusetts qu’en Californie ? etc. Le fait de définir le problème comme technique et d’y trouver une solution de la sorte entérine le dévoiement du projet démocratique – dans la société de masse du XX{e} siècle, on passe d’une démocratie qui n’était déjà que représentative à une oligarchie élective, régie en fait par les experts.

Un autre pas important en matière d’identification à distance et de mise en fiches de la population est franchi aux États-Unis au moment de la Grande Dépression. C’est une autre illustration du fait que l’innovation technique est tributaire des problèmes que se pose une société, en même temps qu’elle valide et pérennise la manière dont
la société pose ses problèmes.

Après le krash de 1929, l’ampleur de la crise économique est telle que la tradition libérale vole brusquement en éclat dans le pays qui en était le plus fervent dépositaire. En dehors des courants socialistes, on y avait toujours soigneusement évité de concevoir la pauvreté comme un problème social lié à des conditions socio-économiques structurelles et non aux choix des individus. Soudain, avec l’effondrement de l’activité, l’échelon local auquel avait jusqu’alors été confinée «l’action sociale» (généralement à caractère philanthropique et caritatif) perd toute pertinence aux yeux de beaucoup d’intellectuels et de décideurs. Pour freiner le recul de la production et de la consommation, il faut désormais agir à l’échelle nationale en s’appuyant sur des indicateurs à la fois généraux et précis. Bref, il faut des statistiques, pour éclairer l’intervention inédite de l’État fédéral.

Les politiques sociales et les plans de relance impulsés par l’administration Roosevert exigent la mise au point de toute une batterie de nouveaux outils de gestion, de fichiers, de catégories statistiques, etc 3 En particulier, les grandes agences publiques créées en toute hâte pour venir en aide aux millions de chômeurs et leur proposer des emplois font face à un immense problème: le comptage et l’identification des nécessiteux à travers le pays, pour lequel n’existait aucun dispositif conséquent avant 1930. La création de la Civil Work Administration en 1934, enfin de la Works Progress Administration en 19354 vont inaugurer lère des enquètes à très grande ampleur, qui stimuleront de manière notable à la fois les techniques de recueil des données et celles de leur traitement.

Du côté du recueil, les gigantesques opérations de comptage des chômeurs vont aboutir à l’affinement des techniques de sondage. Initialement, la Civil Works and Administration procède à un recencesement intégral des chômeurs, qui donne d’ailleurs du travail à plusieurs centaines d’entre eux comme enquêteurs à travers le pays. Mais très vite, une statisticienne met au point des méthodes d’échantillonnage qui permettent de faire l’économie de ce marathon. Les responsables de l’agence acceptent sa proposition, participant ainsi à la promotion de l’idée de représentativité statistique 5 Du côté du traitement des données, les machines à cartes perforées deviennent brusqement de précieux outils pour les administrations publiques. Jusqu’en 1930, très peu d’entre elles s’en étaient dotées. Mais avec la crise et le New Deal qui y répond, coup sur coup le Bureau of Labour Statistics, la Works Progress Administration et la Sécurité Sociale naissante y ont recours pour améliorer leurs capacités de calcul, de classement, bref, de gestion 6La volonté de panser les plaies du capitalisme sauvage par une planification à grande échelle prend ainsi appui sur les machines de bureau les plus récentes, auxquelles des retouches et des perfectionnements sont apportés au fil de l’urgence sociale.

[…] [En France,] c’est [aussi] sous Vichy qu’est inventé le NIR, le Numéro d’identification au répertoire. C’est un numéro à treize chiffres, autour duquel le tout nouveau Service national de Statistiques (SNS), fondé en 1941 par un ingénieur militaire, René Carmille, veut construire un grand fichier unifié des personnes dans l’État français. À chaque citoyen un numéro, celui des hommes commençant par 1, celui des femmes par 2 (celui des Juifs par 3, celui des musulmans par 4… jusqu’en 1944). On reconnaît là le numéro de Sécurité sociale dont chaque personne née sur le territoire national est dotéé depuis 1945: c’est qu’après la Libération, les élites issues de la Résistance jugent nécessaire de conserver un service national de statistiques placé sous l’égide de l’État, afin d’aider au pilotage de l’économie. On le rebaptise Insee (Institut nationale de la statistique et des études économiques) mais on conserve une partie des acquis techniques et bureaucratiques du ci-devant SNS.

Que le NIR soit apparu sous Vichy n’implique pas que le numéro de Sécurité sociale ait des finalités policières ou criminelles à l’origine. Car au fond, que recherchait Carmille, ce polytechnicien formé sous la III{e} République, en introduisant ce numéro
d’identification ?
S’inscrivait-il dans un projet de surveillance générale de la population ? Voulait-il donner à la police ou à l’occupant allemand un moyen de débusquer plus facilement certains individus ou certaines catégories particulières ? Il semble que non. Au contraire, s’opposant au zèle de certains de ses propres employés, il a saboté le repérage des Juifs et des requis du STO (Service du Travail Obligatoire) que permettait l’usage du NI, et transmis à Londres le modèle de la carte d’identité de Français créée par ses soins ainsi que la machine à composter utilisée dans les préfectures, afin de permettre aux résistants de fabriquer plus aisément de faux papiers. Apparemment, dans son esprit, la création d’un grand fichier des personnes répondait à deux types de préoccupations: faciliter une remobilisation militaire rapide si l’État français devait reprendre la guerre (y compris contre l’Allemagne), et jeter les bases d’un appareil de recueil statistique à la mesure d’une économie industrielle moderne, comme celle dont les hauts fonctionnaires tels que lui rêvaient pour la France «arriérée» de 1940. […] Il était simplement obsédé par l’efficacité. […] Le fichier des personnes qu’il construisit au Service nationale de statistiques n’avait pas de visée directement policière- dans le même temps, Carmille créait un fichier des entreprises: le but de ces fichiers était avant tout de favoriser la naissance d’une économie planifiée, à tout le moins d’une gestion plus rationnelle de la production de masse.

Avec le recul, l’essentiel n’est pas que quelqu’un comme Carmille ait été un résistant tardif. L’essentiel est qu’il était typiquement le genre de personnage incapable de saisir que le totalitarisme ne réside pas seulement dans des finalités condamnables, mais aussi dans les moyens employés. Il était un organisateur, au sens où Burnham et Orwell avaient dans les années 1940 annoncé l’ ère des organisateurs 7. Du reste, la plupart des artisans des États-providence élaborés au milieu du XX{e} siècle furent aussi des organisateurs: qu’ils aient été syndicalistes, économistes, hauts fonctionnaires, chrétiens, communistes, héros de la Résistance ou résistants en demi-teinte, ou tout cela à la fois, ils avaient intégré une certaine vision du monde, un souci d’efficacité, un universalisme statistique qui les empêchaient de concevoir des transformations dans le sens de la justice sociale sans les moyens techniques et bureaucratiques hérités des mobilisations guerrières des années 1910 et 1940. La société de traçabilité intégrale qui se déploie aujourd’hui est un pur produit de cette vision organisatrice, y compris dans la mesure où les ordinateurs sont des machines à cartes perforées améliorées.

Notes:

1

Éditions La Lenteur, 2012. Extraits des pages 51 à 56.

2

Robert Ligonnière, Préhistoire et histoire des ordinateurs
(1987).

3

On peut lire à ce sujet le roman de Dos Passos Le grand dessein (Paris, Gallimard, 1959), dans lequel on voit apparaître ce besoin de données chiffrées pour étayer les rapports qui s’empilent sur le bureau du grand instigateur du New Deal, Franklin D. Roosevelt. Chargé de l’aide en tout genre aux agriculteurs en détresse, le dénommé Paul Graves se trouve dans la nécessité de recruter une secrétaire compétente dans ce domaine. Elle fera merveille et deviendra sa maîtresse sous le charmant petit nom de «Statistique»….

4

Ces trois administrations eurent au fond la même fonction:
organiser à l’échelle nationale et par ordre de priorité l’embauche de
chômeurs affectés à divers grands travaux. Voir Pierre Mélandri,
Jacques Portes, Histoire intérieure des États-Unis, Paris, Masson,
1991, p. 97 à 108.

5

Emmanual Didier, En quoi consiste l’Amérique ? Les
statistiques, le New Deal et la démocratie
Paris, La
Découverte, 2009.

6

Joseph Duncan, William Shelton, op. cit., p. 118-119.

7

James Burnham, L’ère des organisateurs, Paris, Calmann-Lévy,
1969; Georges Orwell, «James Burnham et l’ère des organisateurs»
(1946), in Essais, articles et lettres, volume IV, Paris,
Ivrea/Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 1995, p.198-221.

Solutions contre PRISM: à portée de mains

Le scandale du PRISM a mis au grand jour l’existence d’une surveillance très poussée des moyens de communications numériques de la part des Étatst-Unis (n’oublions pas l’espionnage de la France ou d’autres). Le programme PRISM se base en particulier sur le scan des données des plus gros services en ligne actuels:

  • Google
  • Facebook
  • Skype
  • Microsoft
  • Youtube
  • services Apple,…

Les premières révélations stipulaient que la NSA accédait directement aux serveurs de ces entreprises.

Alors, que faire ? Légiférer, demander un encadrement par la CNIL ? Il y a des choses efficaces que nous pouvons faire chacun dès maintenant, et elles sont excellement rappelées par l’opportun site prism-break.

Sans surprise, nous retrouvons comme recommandations:

  • n’utilisez pas de système d’exploitation Windows ou Apple, mais utilisez un GNU/Linux tel que LinuxMint;
  • utilisez un navigateur web libre tel que Firefox (et pas Chrome ni Chromium) avec TOR et une poignée d’autres extensions;
  • n’utilisez pas Google Search, Bing ou Yahoo, mais DuckDuckGo, Seeks ou Startpage;
  • pas Skype, mais Jitsi, Linphone ou d’autres;
  • pas Facebook ni Google+, mais Diaspora*, Lorea, Friendica ou d’autres;
  • n’utilisez plus Youtube, installez votre instance de MediaGoblin, un Youtube distribué !
  • et beaucoup d’autres choses intéressantes. L’idéal, qui sera bientôt facile à faire, étant d’héberger soi-même ses services.

Opter pour des solutions libres, distribuées voire auto-hébergées, vous fait gagner en fonctionnalités, en facilité et en maîtrise, c’est mieux pour tout le monde et aussi pour la planête !

Je rajouterais:

  • si vous voulez vraiment que vos communications soient anonymes et confidentielles, utilisez un service VPN (wikipédia). Ils ne l’ont sûrement pas mentionné car pour bénéficier d’un service de confiance, il faut mettre la main au portefeuille (±5€/mois). TOR est très bien mais a ses défauts.

Enfin, soutenez les associations qui luttent pour nos libertés (et pas que numériques):

Donner 3 ou 10€ à l’une d’elle vous transformera en magnifique militant et sauvera un petit chat d’une mort atroce.

Le livre «Facebook, anatomie d’une chimère» : court et complet

Le livre «J’aime pas facebook» du groupe Ippolita convient parfaitement à celles et ceux déjà  rôdés un tant soit peu par les multiples facettes de la question, et passablement motivés de se  taper un ouvrage long et «cher».

Heureusement, les éditions du Collectif des Métiers De l’Édition (CMDE) nous livrent  avec «Facebook, anatomie d’une chimère» un livre court, accessible au profane,  (presque) complet et pas cher : voilà l’heureux élu que vous pourrez acquérir, prêter et  offrir autour de vous.

L’ouvrage de Julien Azam traite de plusieurs points essentiels pour dessiner un contour  complet de la chimère : le modèle économique basé sur la publicité et la collecte des  données personnelles des utilisateurs (et sa vente, son échange ou sa «perte» au bénéfice de  multiples acteurs), le modèle prôné de société hyper-capitaliste, l’apparence de l’amitié et le  rapport au monde que l’on se forge à travers de l’usage de facebook, son pseudo-rôle dans  les révolutions arabe, et enfin facebook comme outil de contrôle social.

Un point fort du livre est qu’il adopte une vision globale, étant donné que «une critique cohérente des réseaux  dits sociaux ne peut pas faire l’économie de la critique plus globale de la société dans  laquelle ils s’inscrivent». Nous croiserons donc de multiples références à «La société du  spectacle» de Debord ou à Marx. Et le langage reste simple. L’auteur a également fait  attention à rendre son ouvrage accessible aux «dépassés, déconnectés et inadaptés au monde  actuel» par un utile rappel en début d’ouvrage, et en ne l’alourdissant jamais de termes  abscons.

Néanmoins, l’auteur tombe de temps en temps dans des facilités et certaines parties  auraient bénéficées d’être plus fournies. Nous avons été gênés par ce que nous qualifions de  «tics de rédaction». Par exemple, dire que «les sites communautaires […] ont rendu familière  jusqu’à la tendance de gérer sa vie sur Internet» (p.28) nous parait une affirmation d’abord  trop généraliste, une phrase qu’on dirait formulée par des critiques n’ayant jamais utilisé de  site communautaire, et elle nous parait trop alarmiste. Ce genre d’affirmation fait croire à une  intelligence propre de la technologie et participe ainsi à la construction de la chimère (de chimère : vaines imaginations (dictionnaire É. Littré)). Autre exemple relevé page 43 :  «les réseaux sociaux promettent un changement majeur dans le fonctionnement social des  années à venir, obligeant à y adhérer,sous peine de se priver de vie sociale ou de ne pouvoir  accéder que de manière marginale à internet». Si de nombreux arguments peuvent aller en ce  sens, et nous lisons des nullités de ce genre sur lemonde.fr (de nombreuses affirmations de  cet article sont tout bonnement fausses), cette phrase souffre des mêmes travers.

Quand l’auteur attaque très justement Suckerberg et sa croisade hyper-capitaliste, nous  avons envie de lui faire lire la partie équivalente de «J’aime pas facebook», autrement plus  complète. Ici, l’auteur s’en tient à Suckerberg et lui impute toutes les responsabilités, sans  parler des investisseurs aux manettes qu’un article du Guardian a pourtant mis en lumière  depuis longtemps. C’est néanmoins le seul manque que nous avons décelé.

Enfin, et vous ne serez pas surpris, nous regrettons plus sincèrement le manque de vision alternative et constructive. Le lecteur se sent bien démuni en sortant de sa lecture (et c’est pareil avec «J’aime pas Facebook»). La notion de réseau centralisé est très bien expliquée. Mais les mots «distribué» ou «décentralisé» n’apparaissent jamais ! Nous ne reprochons pas au texte de ne pas même évoquer des réseaux différents (libres et distribués) qui essaient de faire des choses différemment (n-1 de Loréa, Diaspora dont la notion d’amis n’est pas totalement binaire, …), bien au contraire (si nous aimons les réseaux libres et distribués, nous gagnerons également à lire ce livre). Bien que ce ne soit pas le but du livre, il manque  quand même des pistes pour penser ces technologies (et Internet) autrement.

C’est pourquoi nous vous invitons à acheter ce livre (il vaut bel et bien le coup d’être lu, nous  y apprendrons tous des choses), et à l’offrir en l’accompagnant… de notre brochure 🙂

«Facebook, anatomie d’une chimère», Julien Azam, éditions CMDE, 11€, 90 pages. Sorti le 7 février 2013, disponible dans toutes les bonnes librairies.

edit : si vous êtes une association, à plus forte raison un GUL, le CMDE peut vous envoyer gratuitement un service de presse du livre contre paiement des frais de port (1,70€ payables par l’envoi d’une vignette de La Poste). Ils peuvent ensuite vous le vendre avec une remise de 40% pour que vous le vendiez auprès de vos adhérents.

Alternatives à Facebook, libres et décentralisées

Penser internet autrement : «Sans médias libres, pas de liberté de penser», Eben Moglen